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Ressources contre sécurité : vers un réalignement stratégique de la République démocratique du Congo ?


Par Eleftheris Vigne

27 Mars 2025

Alors qu’un projet de partenariat dit « sécurité contre ressources » entre les États-Unis et l’Ukraine a récemment fait les gros titres, ce modèle semble trouver un écho en République démocratique du Congo (RDC), où le président Félix Tshisekedi a confirmé l’existence de discussions en cours avec Washington autour d’un accord de même nature.[1] En offrant un accès privilégié à ses ressources minières, les autorités congolaises espèrent convaincre les États-Unis de jouer un rôle décisif dans la résolution de la crise sécuritaire à l’est du pays. Dans un contexte de compétition entre grandes puissances, un tel partenariat, s’il venait à se concrétiser, pourrait annoncer un réalignement stratégique de Kinshasa, au détriment des intérêts chinois. L’UE, malgré son intérêt pour la sécurisation de ses chaînes d’approvisionnement en matières premières critiques, demeure réticente à s'impliquer significativement sur le plan sécuritaire.

Le gouvernement congolais est confronté à des menaces sécuritaires particulièrement graves dans la partie orientale du pays, où les Forces armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) peinent à neutraliser le Mouvement du 23 mars (M23), soutenu par le Rwanda. Depuis sa résurgence fin 2021, ce groupe insurrectionnel a progressivement étendu son emprise territoriale, en capturant notamment les capitales provinciales de Goma et Bukavu, respectivement en janvier et février de cette année. Ces avancées mettent en péril la souveraineté territoriale de l’Etat congolais et posent une menace directe pour la stabilité du régime de Félix Tshisekedi, alors que le groupe armé a publiquement exprimé son intention de renverser le président et de s’emparer du pouvoir.

C’est dans ce contexte de grande vulnérabilité que s’inscrit la volonté de Kinshasa de nouer un partenariat sécuritaire avec Washington. L’objectif est clair : obtenir un soutien décisif afin de contenir l’avancée du M23 et assurer la survie du pouvoir. Pour y parvenir, le gouvernement congolais mise sur son atout majeur : des ressources minières abondantes, essentielles pour la transition énergétique, l’industrie de la défense et les technologies avancées. Ainsi, dans une lettre adressée au secrétaire d'État Marco Rubio, les autorités congolaises – par l’intermédiaire d’un sénateur proche du président Tshisekedi – proposent aux États-Unis un accès exclusif à des minerais stratégiques (cobalt, lithium, tantale, uranium) ainsi que le contrôle opérationnel du port en eaux profondes de Banana, destiné à faciliter l’exportation de ces ressources. En contrepartie, Kinshasa sollicite un engagement sécuritaire concret : la formation et l’équipement des FARDC, ainsi qu’un renforcement de la coopération bilatérale incluant l’accès aux forces américaines à des bases situées sur le sol congolais.

Bien qu’à ce jour hypothétique, un tel accord entre Kinshasa et Washington se ferait indéniablement au détriment de Beijing, dont l’influence en RDC repose en grande partie sur sa domination du secteur minier, notamment depuis la signature, en 2008, de l’accord sino-congolais dit « infrastructures contre ressources »[2]. Or, dans un contexte de rivalité sino-américaine croissante, un nouveau partenariat économique et militaire entre la RDC et les États-Unis remettrait non seulement en question l’influence acquise par la Chine, mais pourrait aussi signaler un réalignement stratégique de Kinshasa en faveur de Washington. Sur le plan économique, un renforcement de la présence américaine dans le secteur minier réduirait la dépendance de la RDC à l’égard de la Chine. Cela suppose néanmoins que le secteur privé américain soit disposé à investir dans un environnement incertain, d’autant que la Chine conserve la capacité de faire chuter les prix mondiaux de certains minéraux critiques, tels que le cobalt et le lithium, à des niveaux susceptibles de compromettre la rentabilité des projets concurrents.

Sur le plan militaire, l’installation éventuelle de bases américaines sur le territoire congolais renforcerait inévitablement l’influence de Washington sur la politique sécuritaire et étrangère du pays, au détriment de son autonomie[3]. Par conséquent, le positionnement diplomatique de la RDC vis-à-vis de la Chine s’en trouverait sans doute affecté, en particulier dans les situations où les intérêts chinois entrent en contradiction avec ceux des Etats-Unis. En août 2022, l'ambassadeur congolais en Chine avait ainsi condamné la visite à Taïwan de Nancy Pelosi, alors présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, la qualifiant d'ingérence dans les affaires intérieures chinoises. Dans un scénario de dépendance sécuritaire accrue envers Washington, il deviendrait probablement plus délicat, à l’avenir, pour Kinshasa d’adopter des positions aussi critiques à l’égard des États-Unis.

Bien que l’UE ait récemment renforcé son discours sur la sécurisation des chaînes d’approvisionnement en minerais critiques – notamment à travers l’initiative Global Gateway – elle ne semble pas disposée à fournir une aide militaire décisive au gouvernement congolais pour atteindre cet objectif. L’UE reste soucieuse de ne pas s’impliquer militairement dans un conflit marqué par de graves violations des droits humains et craint, en particulier, une aggravation des tensions régionales avec le Rwanda. Ainsi, en juillet 2023, l’UE a approuvé une aide de 20 millions d’euros aux FARDC, à la stricte condition qu’elle ne soit utilisée que pour du matériel non létal. Cette même aide a par ailleurs été accordée à deux reprises au Rwanda, soutien du M23, pour financer le déploiement de ses troupes à Cabo Delgado, au Mozambique, dans le cadre de la lutte contre les insurrections islamistes.

À l’heure où la RDC recherche activement des alliés pour contrer une menace sécuritaire majeure, l’accord envisagé avec les États-Unis pourrait ouvrir la voie à un réalignement stratégique. Pour Washington, cela pourrait signifier une victoire dans sa volonté de contenir l’influence croissante de Beijing sur le continent africain. A l’inverse, pour la Chine, un tel accord constituerait un revers géopolitique. Dans cette compétition d’influence entre grandes puissances, l’UE apparaît en retrait, faute de volonté ou de capacité à s’engager avec une intensité comparable en matière de coopération militaire. Bien qu’hypothétique à ce stade, ce partenariat pourrait offrir à la RDC des perspectives concrètes en matière de sécurité et de diversification économique. Il soulèverait toutefois un dilemme : renforcer la sécurité à court terme, au prix de voir s’éroder une part de l’autonomie nationale.


[1] Ce modèle n’est pas sans rappeler la stratégie adoptée par la Russie dans plusieurs pays africains, reposant sur un échange entre soutien sécuritaire – en particulier par l’intermédiaire du Groupe Wagner, désormais intégré à l’Africa Corps – et l’accès à des ressources naturelles.

[2] Cet accord a permis à des entreprises chinoises de prendre le contrôle d’une part importante des exploitations de cuivre et de cobalt, en échange du financement de projets d’infrastructures.

[3] C’est précisément pour préserver cette autonomie que l’ancien président Joseph Kabila avait catégoriquement rejeté toute possibilité d’accueillir une base américaine lors de la création, en 2007, du commandement militaire américain en Afrique (AFRICOM).